Être père d’un enfant hémophile

Être père d’un enfant hémophile

L’hémophilie est une maladie chronique qui impacte l’ensemble de la famille.

Natacha Rosso, psychologue clinicienne au Centre de Ressources et de Compétences des Maladies Hémorragiques de Marseille (CHU Timone) nous décrit l’impact et le vécu des pères qu’elle a rencontrés suite à l’annonce de la maladie de leur enfant.

« Les pères hémophiles ? On n’en parle pas du tout. Ils ressentent pourtant une culpabilité énorme à transmettre le gène de la maladie à leurs filles. C’est comme s’ils léguaient un fardeau dont ils ne pourront pas s’occuper. A défaut de pouvoir réparer, certains veulent préparer leurs filles. Quitte à les emmener dans les congrès ou à leur faire rencontrer des personnes hémophiles. Il leur est difficile de concevoir que désormais, grâce aux traitements et aux avancées médicales, l’hémophilie de leurs petits-enfants sera différente de la leur. Nous essayons de les accompagner et de leur faire comprendre qu’eux aussi méritent d’être aimés, de partager leur quotidien avec quelqu’un et de construire leur famille »

L’annonce : un double choc

Pour les pères, le choc est double. Non seulement ils apprennent que leur fils souffre d’une maladie chronique grave, dans le cas d’une hémophilie sévère notamment, mais tout ce qu’ils ont imaginé faire avec leur petit garçon se trouve mis en cause. C’est une épreuve qui, comme pour la mère, entraîne un nécessaire travail de deuil de la paternité fantasmée.

Les étapes suite à l’annonce

L’annonce représente un traumatisme pour tous les parents.
Sa première étape ? La sidération. J’ai pu observer qu’elle pouvait être ressentie très fortement par les pères. Elle se traduit par une longue période durant laquelle rien ne peut être pensé, comme un trou noir. Lui succède généralement l’angoisse. Face à elle, les pères sont souvent mutiques, contrairement aux mères qui vont s’exprimer et s’en défaire plus facilement.

Le deuil de la paternité fantasmée

Un père investit son enfant différemment. Garçon lui-même, il a tendance à fantasmer ce qu’il aurait aimé vivre avec lui. Ce sont des projections du type : « on fera la bagarre, on jouera au foot, on fera de la moto… » Elles recouvrent tout ce qui relève de sensations « extrêmes » à partager. C’est généralement le père qui apporte ce type d’expériences. Pour eux, il s’agit de faire le deuil de la paternité fantasmée, en termes de pratiques sportives et de partage d’expériences à risque. Ils doivent tout repenser pour reconstruire une nouvelle représentation de ce que signifie élever un garçon.

La reconstruction au masculin

La reconstruction passe d’abord par le fait de plus les impliquer. Rares sont les mamans qui projetaient de pratiquer des sports à risque avec leur enfant. Elles se voient donc souvent affecter les soins. Une sphère que les papas peuvent également investir pour devenir une vraie ressource. Ce que je conseille aux pères par exemple, c’est de prendre leur enfant dans les bras au moment de la prophylaxie. C’est une manière de l’accompagner et de l’aider, tout en soulageant la mère. Leur médiation peut contribuer à apaiser ce moment particulier. Ils ont une vraie fonction de tiers.

La place des pères

J’essaie d’aider les pères à occuper pleinement leur rôle. Une démarche qui tient parfois à des détails. Lors des consultations, certains médecins ont tendance à s’adresser à la mère. Il est essentiel d’inclure le père en tant que représentant de la parentalité de cet enfant hémophile. Aujourd’hui, hémophilie ou pas, les jeunes papas sont plus impliqués dans l’éducation. Les nouvelles générations sont en demande de cette place. En tant que soignants, nous pouvons les aider en les reconnaissant comme partenaires à part entière. Au même titre que les mères.

Paternelles demandes

Les pères aspirent à la reconnaissance de leur souffrance. Cette dernière se joue surtout au moment du sport. « Pourra-t-on skier et jouer au foot ? Faut-il encourager notre fils à regarder le sport avec nous ? » sont les questions qu’ils peuvent se poser. A nous d’expliquer que le foot en famille est possible de façon sécurisée. Il suffit de ne pas utiliser de ballon dur et de ne pas se rentrer dedans brutalement.
Mais ces questions peuvent en cacher d’autres. En effet, il m’est arrivé que des pères me disent : « est-ce qu’on va s’aimer ? Allons-nous partager des choses qui feront qu’il va m’aimer ? Comment se le montrer ? ». Dès que l’enfant parle et marche, au fil de l’apprentissage, les pères parviennent mieux à comprendre ce que sera la vie de famille avec un enfant hémophile. Au même titre que les mères. Plus ils partagent d’expériences, plus ils sont rassurés et peuvent se construire un rôle de papa, adapté à l’hémophilie de leur garçon.

Une parole plus libre

Une fois le trauma passé, ils sont capables de mieux verbaliser. Dernièrement, un jeune papa pleurait à l’autre bout du couloir : « Je ne supporte pas que l’on pique mon fils, cela me fait trop de peine », disait-il. J’ai observé un vrai changement, les pères s’autorisent davantage à exprimer leurs difficultés au personnel soignant.

Les témoignages exposés par les experts, les patients ou l’entourage des patients sont personnels et indépendants. Ils sont fournis à titre d’information et n’ont pas pour objet de donner des avis médicaux, fournir des diagnostics, remplacer des consultations ou promouvoir Sobi.

Myrin Westesson, et al. A tortuous route to a capable fatherhood: the experience of being a father to a child with severe haemophilia. Haemophilia. 2015;21,799-805.

NP-21993

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