An 200, Talmud et circoncision
Bien avant son apparition à la Cour, l’hémophilie est présente dans le Talmud de Babylone, texte fondamental du judaïsme hébraïque et premier texte à la considérer comme « une maladie hémorragique héréditaire ». Une pratique ancestrale lui vaut d’être rapidement identifiée : la circoncision. Le rite religieux est alors reconsidéré face à un mal inconnu. Il est établi qu’une mère confrontée au décès de deux de ses fils lors de la circoncision « ne doit pas pratiquer la circoncision du troisième ». Dès l’an 200, les autorités rabbiniques observent que la transmission s’effectue par la mère. Un constat que la science confirmera des siècles plus tard. (1)
L’hémophilie dans la cour des grands
On l’appelle « la maladie royale ». L’hémophilie a fait son entrée dans la grande Histoire au 19ème, avec la Reine Victoria d’Angleterre (1829-1901), mère de neuf enfants. (2) « Victoria avait un chromosome X porteur du gène déficient de l'hémophilie à cause d'une anomalie génétique comme il peut en survenir dans n'importe quelle famille », précisent les spécialistes : une pathologie qu’elle transmet à son fils Léopold. (3) Conductrices, certaines de ses filles vont la véhiculer. L’union de leurs propres enfants avec la famille impériale de Russie et la famille royale espagnole dessine un arbre généalogique frappé du sceau de la maladie.
Au total, la Reine Victoria compte plus de 20 descendants hémophiles.
La science en marche
Il faut attendre 1803 pour qu’un médecin américain, John Conrad Otto, parle de « bleeders » (saigneurs), et décrypte le mécanisme de transmission de la maladie. Ce qui n’empêche pas des spéculations médicales pour le moins fantaisistes. En 1828, Hopff, un médecin allemand, l’attribue par exemple aux « hommes délicats, aux cheveux roux et aux yeux bleus, anxieux, timides et efféminés ». (4)
1840 signe la première transfusion. Un succès prometteur, alors que dans tous les hôpitaux d’Angleterre, une triple interdiction trône au-dessus des lits des patients hémophiles : « pas d’aspirine, pas d’injection, pas d’exercice physique ».
En 1952, les travaux de Rosemary Biggs font le distinguo entre l’hémophilie A, due à un déficit en facteur VIII, et l’hémophilie B, causée par un déficit en facteur IX. (5) Une découverte majeure : cannes anglaises et fauteuils roulants sont alors le lot des patients, les saignements répétés générant une « arthropathie hémophilique, avec gonflements des articulations et amyotrophie des muscles ».
Au début des années 1960, apparaissent les perfusions de plasma. Les réactions d’intolérance sont nombreuses, et les injections traumatisantes pour les veines. (6)
Les maux de l’hémophilie
L’hémophilie a longtemps limité l’espérance de vie des patients. Parmi les causes de décès les plus fréquentes : les hémorragies affectant les organes vitaux, notamment le cerveau, et des saignements après une intervention chirurgicale mineure ou un choc. (7)
Les patients peuvent souffrir de handicap, résultat d'hémorragies à répétition dans leurs articulations. La pression exercée par les épanchements sanguins dans les articulations ou les muscles fait de l'hémophilie une maladie très douloureuse. (8)
Des traitements préventifs
Véritable révolution dans la vie des patients, en 1964, le docteur Judith Pool découvre le cryoprécipité : la substance au fond du plasma frais décongelé s’avère riche en facteur VIII. Avec ce procédé, on perfuse suffisamment de facteur VIII pour maîtriser les hémorragies graves. Il devient même envisageable d'opérer des hémophiles. Une première. (3,7)
Cette découverte amorce le passage de traitements palliatifs aux traitements préventifs. Au début des années 1980, alors que le SIDA fait irruption, de nombreux hémophiles et patients atteints de troubles hémorragiques sont contaminés par le VIH du fait de leurs traitements. En France, plus de 1350 malades sont ainsi touchés, selon l’Association Française des Hémophiles. Le retentissement de « l’affaire du sang contaminé » entraîne une réorganisation du système de transfusion. Les générations suivantes bénéficieront de traitements sécurisés, favorisés notamment par les produits issus du génie génétique.
Depuis le début des années 1990, des concentrés de facteurs de coagulation sont disponibles. L’auto-perfusion favorise la généralisation du traitement à domicile. (3) Les injections peuvent être réalisées par un proche dès 4 ans, et par le patient à partir de 12 ans. Les traitements substitutifs ont vocation à corriger les troubles de la coagulation en introduisant le facteur de coagulation manquant. (9) Ils sont d’origine plasmatique ou fabriqués par génie génétique (ce sont les fameux « recombinants » qui n’utilisent pas de plasma comme matière première). Ils disposent néanmoins d’une durée de vie courte, ce qui nécessite la répétition fréquente des injections.
De nouvelles approches thérapeutiques
Un nouveau type de facteurs de coagulation recombinants voit le jour une quinzaine d’années plus tard : les facteurs à durée de vie allongée, qui permettent notamment aux patients d’espacer leurs injections. Apparaissent ensuite les traitements non substitutifs qui consistent à mimer l’action du facteur anti-hémophilique manquant ou à limiter l’action de facteurs anticoagulants pour rétablir une fonction coagulante normale. Des travaux scientifiques sont en cours pour améliorer l’efficacité de ces traitements. (10)
La thérapie génique fait également naître de nombreux espoirs. (8)
Autant d’avancées qui ouvrent de nouveaux horizons aux plus de 8800 personnes touchées par l’hémophilie en France. (11) Au total, on estime à plus de 12 000, le nombre de patients affectés par un processus de coagulation défaillant ou atteints de la maladie de Willebrand, très proche. (11) Pour les hémophiles, la recherche continue.